On a reçu ça et on pense que c’est bien … d’en prendre connaissance. Merci à nos amis de PIB, Point Infos Bondy, mensuel des collectifs communistes de cette ville et merci à Yazid KHERFI d’avoir répondu à leurs questions.
YAZID KHERFI
Né en 1958, Yazid Kherfi a vécu 25 ans au Val-Fourré. Délinquant, il fera 5 ans de prison. Il a décidé de mettre son expérience au service des autres, en devenant animateur, formateur et consultant en prévention urbaine. Son expérience est relatée dans Repris de justesse, aux éditions La Découverte & Syros. (cf www.yazidkherfi.com)
PIB : On voit aujourd’hui le retour du thème de la sécurité… Y a-t-il vraiment une “dégradation inédite, sans précédent” de la sécurité?
Yazid Kherfi : Les problèmes d’insécurité et de violence existent depuis longtemps. On en parle plus aujourd’hui, surtout parce qu’on entre en période de campagne électorale. Les politiques et les médias vendent de la peur. Les jeunes des quartiers sont présentés comme un monstre. Le thème de l’insécurité semble devenir le thème des mois qui viennent comme ce fut le cas pour l’élection en 2002. En tout cas, on peut dire que dans les quartiers, la situation reste explosive.
PIB : Le traitement médiatique lui-même ne contribue-t-il pas à cette situation ?
Yazid Kherfi : Il suffit de voir comment les médias attendent l’anniversaire des émeutes en venant filmer dans les quartiers, attendant que quelque chose se produise. Tous les jours cela revient de façon lancinante : « Est-ce qu’il va se passer quelque chose ? »Cela attise le feu. On peut se rappeler qu’à Strasbourg, pendant plusieurs années, les journalistes venaient attendre les incendies. Cela pousse les jeunes à devenir acteurs quand on sait le poids des médias aujourd’hui. D’autant que la stigmatisation des quartiers populaires par les journalistes amène aussi à revendiquer par le biais de ces émeutes télévisées.
PIB : Comment la police est-elle perçue par la population et les jeunes dans les quartiers?
Yazid Kherfi : Toujours aussi mal depuis des années par une partie de la population. Cela a été un peu mieux pendant la police de proximité mais même là, en général la police était mal formée pour travailler dans les quartiers. On forme une police en fonction des quartiers faciles. Dans les quartiers, les policiers sont donc en difficulté, d’autant qu’ils sont livrés à eux-mêmes, mal formés, mal encadrés, inexpérimentés, parfois trop jeunes. Les affectations se font en fonction des notes obtenues : les meilleurs demandent des villes sans problème, les mieux notés sont affectés là où ça va… Les plus mal notés sont dans le 93, là où personne ne souhaite aller. Ils n’ont souvent une connaissance des quartiers que par les médias. Ce ne sont pas les conditions nécessaires pour faire correctement son travail : on ne peut pas travailler avec un public qu’on méprise, qu’on craint, ni même qu’on méconnaît… Souvent ils ont le même âge que ceux qu’ils ont en face d’eux.
PIB : Quel est l’impact sur l’image de la police des rafles de travailleurs sans-papiers à la gare, de l’arrestation d’enfants dans les écoles ou de l’expulsion de familles modestes de leur logement ?
Yazid Kherfi : Cela contribue à donner à la police une image d’inhumanité. Le sentiment dans la population peut être qu’ils n’ont pas de cœur, qu’ils n’ont pas eux-mêmes d’enfant, qu’ils obéissent aveuglément aux ordres mais on peut imaginer que les policiers eux-mêmes ne vivent pas bien cela.
PIB : Cet état de fait peut-il changer? Ou la police est-elle condamnée à toujours imposer sa force à tout récalcitrant potentiel?
Yazid Kherfi : Cela dépend du gouvernement, de son orientation, de la politique du Ministère de l’Intérieur. On peut espérer qu’à un moment il y aura une prise en compte que cela doit changer. Même la police refuse des rapports de plus en plus conflictuels. Mais il est difficile de faire entendre une voix discordante dans la profession, celui qui pense autrement doit faire face à un certain corporatisme.
PIB : Les centres fermés pour les jeunes, a-t-on de premiers résultats ?
Yazid Kherfi : Il n’y a pas de bilan. Pour les Centres Éducatifs Renforcés, oui, ils sont intéressants. On constate que 65% des jeunes ne récidivent pas alors qu’en prison 75% récidivent. Pour les centres éducatifs fermés, dont l’annonce a été très médiatisée car politique, ils ont été mis en place en 2002, ils coûtent cher mais il est trop tôt pour avoir un bilan.
PIB : Connais-tu des polices différentes ailleurs?
Yazid Kherfi : En Angleterre ou au Canada, il y a une police de proximité, qui ne porte pas d’arme, dont la composition ressemble plus à la population du point de vue de ses origines, et qui a l’habitude d’être en contact avec les habitants. Cela ne leur réussit pas mal, et les rapports avec la police et les habitants des quartiers sont bien meilleurs.
PIB : Y a-t-il eu des changements depuis les révoltes ?
Yazid Kherfi : Oui, en terme d’emploi et de scolarité, des changement ont eu lieu. Mais pour la minorité qui a participé aux émeutes, très peu a changé, et les discriminations restent très présentes. Pour les jeunes les plus en difficultés, qui connaissent la délinquance, et affrontent la police, rien ou presque n’a changé. Et dans la société continue l’équation jeunes = menaces. Les politiques continuent à avoir peur de dire qu’ils ne savent pas comment faire, qu’ils ont besoin d’abord de comprendre.
PIB : Tu proposes l’ouverture de centres librement accessibles le soir…
Yazid Kherfi : Effectivement, j’ai proposé des maisons des jeunes ouvertes le soir. Plus les jeunes parlent, mieux ils vont. La colère est légitime, mais il faut qu’elle trouve des moyens normaux de s’exprimer. Il faut mettre plus d’adultes alors que les jeunes sont de plus en plus seuls. Il faut des lieux de dialogue où on puisse rencontrer des exemples positifs.
PIB : As-tu des réponses à cette proposition ?
Yazid Kherfi : Je pense que les politiques doivent prendre des risques et faire face à leur responsabilité plutôt que de stigmatiser et diviser la population. Aujourd’hui, on préfère parler de « caïds », d’intégrisme, de polygamie plutôt que de s’attaquer au manque d’emploi, de logement ou de démocratie dans les quartiers. Il faut aussi avoir le courage de chercher à comprendre comment la violence naît. Faire que l’on se reparle, que l’on se construise ensemble plutôt que les uns contre les autres. Il faut avoir le courage d’enrayer le manque d’amour dans nos quartiers.
Yazid Kherfi a participé au livre “Quand les banlieues brûlent”, Édition La découverte, mars 2006.